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12 juillet 2009 7 12 /07 /juillet /2009 12:21

Sur chaque palier, on peut compter quatre portes, de sorte qu'un calcul élémentaire, quatre portes sur sept niveaux dans deux bâtiments, donne 56 appartements, de deux à quatre pièces, cuisine, salle de bain et vue sur les fleurs voisines.
56 appartements.
Soit un total d'environ deux cents personnes : à peine deux colonnes dans le botin, ou un demi cinéma de quartier ou un petit morceau de wagon dans un train de banlieue.
C’est à dire pas grand monde…
Aucun touriste ne se perdrait dans un village où il y a si peu de rues. Il n'aurait pas besoin de guide ni de plan détaillé. Deux petites promenades lui suffiraient pour tout savoir et aller sans erreur d'une place à l'autre, même en s'autorisant de petits détours pour apprécier les recoins pittoresques. Mais, curieusement, en matière d'individus, c'est une tout autre affaire. Le lecteur se perd vite dans une histoire où il y a plus de cinq personnages. Un moment d'inattention et il confond Pierre et Paul. Un peu de bruit dans son dos, il ne reconnaît plus le boulanger s’il a passé son nouveau costume, ou la pharmacienne qui vient d’ôter sa blouse. Qui, à un moment ou à un autre de sa lecture, ne s’est jamais demandé lequel du gros barbu ou du maigre frisé a pris quelque chose à l’autre ?
Dans la nuit d’un livre, tous les personnages sont gris.

J’en parle maintenant pour obtenir un peu d’attention ou de bienveillance, sinon de commisération, même si la confusion des hommes et des choses est une expérience tellement courante qu’elle ne devrait étonner personne.  La confusion est au cœur de chacun de nous. C’est même la première chose avec laquelle nous composons, avant d’apprendre à marcher, avant d'avoir crié, avant même fait quoi que ce soit.
On pourrait dire qu'elle fait partie de nos chromosomes, de nos molécules.
Nous en sortons tous.
Nous sommes nés dedans.
Nous avons macéré dans la confusion comme des prunes dans l'eau de vie. Nous en avons eu plein les poumons, plein la gorge, plein la bouche, plein les narines. Nous avons même subi, vous comme moi, une perfusion ombilicale de confusion. Pour mieux nous imprégner de l'intérieur.
Tous autant que nous sommes, il suffit de nous pincer quelque part, peu importe où, pour que la confusion suinte immédiatement.
Alors, qui pourra me reprochera ma confusion ? Qui m’en voudra de tout mélanger ?

Si je dis que cette rue, la rue des Eglantiers, c’est moi. Si je dis, cet immeuble, la Boule Rose, c'est moi. Les 56 appartements qui s'y trouvent c'est encore moi. Les gens qui y vivent, c'est toujours moi, qui ne me comprendrai pas ?
Et si je dis que, dans tout ce fourbi, je n'y vois pas clair ? Et que cette sorte de mélasse est épaisse ?
Si je plongeais une main dedans dans l’espoir d’attraper quelque chose, j’en tirerai probablement un paquet informe, filamenteux, poisseux, dégoulinant, un peu comme un vieux collier sorti d'un pot de confiture.
Bien sûr, à supposer que je puisse nettoyer ce machin tout collant, il est probable que je reconnaisse quelques morceaux de moi-même.  Mais ça ne résoudra pas grand-chose.
Par exemple, une possibilité parmi d’autres, je peux distinguer la table de chevet où, le soir, je pose mes lunettes avant d'éteindre la lumière. Laquelle table de chevet  a les pieds enfouis dans le drap que je tiens serré sous mon cou, dans mon sommeil. Lequel drap passe sous les murs blancs qui entourent ma chambre pour recouvrir la personne qui, au même moment, de l'autre côté du mur se retourne. Laquelle personne a une voiture bleue, lequel bleu…  et ainsi de suite… et tout le reste. Il n’est pas impossible que la pêche aille jusqu’à l'école maternelle de ma grand mère… 
C’est dire que c’est compliqué.
Et il n’est pas impossible que ma mélasse soit mélangée à la vôtre.

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