J’ai de la chance. Mon escalier est calme, ensoleillé, loin des labyrinthes pollués et surpeuplés du centre de la capitale. Les marches sont régulières, bien entretenues. La balustrade sûre, les gens sympathiques, respectueux des uns des autres. On peut compter sur eux si on a besoin d’une corde ou d’un peu de fil de fer. Un jour, on m’a dépanné d’un piolet ! Gracieusement ! Le temps de retrouver le mien. Je l’avais bêtement lâché dans la fatigue de l’ascension ! Ce qui serait fatal dans les escaliers malfamés, désespérés, terrifiants de certains quartiers, saturés de bruits et d’odeurs, sans rambarde, sans lumière, où la moindre inattention se paie par une chute dans le tourbillon central… si on n’a pas été égorgé plus tôt pour un simple mousqueton.
Mais rien n’est acquis. Il m’arrive encore, plus qu’à mon tour, d’avoir à ouvrir une voie nouvelle, de creuser la pierre et d’entrer le premier dans un mur froid et friable. D’un coup d’un seul, tout peut s’arrêter. Je le sais. Je n’en mène pas large. Je tremble, comme au premier jour, que la roche ne se referme et m’ensevelisse, comme elle le ferait d’un insecte misérable. A chaque fois, la chance m’a évité le pire.
J’ai appris à monter plus vite que le sol se dérobe. J’hésite moins. Je sais déceler les bruits, repérer les traces, sentir les odeurs. Certains parlent d’instinct. Pour moi, ce sont des signes que la montagne m’envoie, malgré les tourments, les déchirements, les glissements, les éboulements, les contractions, les secousses qui l’agitent de toutes parts. Elle me dit où je dois poser la main, enfoncer la pelle et creuser la marche qui lui plaira. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’obéis. Peut-être veut-elle m’y conduire ? La plupart des grimpeurs évitent d’y penser. Le rêve est dangereux. Dans la montée, il vaut mieux garder les poings serrés et le cœur froid. Mais comment ne pas y rêver ? On dit que dans cet escalier des murs bleus vous protègent, qu’une moquette fleurie d’étoiles s’étale sous vos pieds, douce comme une herbe, que la rampe vous tient la main comme le ferait une mère. On dit qu’à chaque marche, le sol y ralentit son enfoncement continuel, et qu’en haut, tout en haut, les fissures se referment, le pied ne glisse plus, la main, les yeux, le cœur peuvent enfin s’ouvrir sans crainte. Se pourrait-il que la légende dise vrai ? Que cette partie du monde soit sauvée, et flotte, comme une bouteille sans bouchon, sur la boue noire de l’univers qui nous emporte vers le fond ?
M.DALMAZZO ©
Octobre 2009
(Dédié à Patrick PELTIER )